Dérapages financiers, délais insoutenables : le rapport accablant de la Cour des comptes sur la Société du Grand Paris

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Qu’il s’agisse des coûts de construction du Grand Paris Express (GPE), des délais de mise en service, ou de l’amortissement de la dette de la Société du Grand Paris (SGP), les perspectives s’assombrissent, selon les premières conclusions du rapport de la Cour des comptes sur la SGP. Celles-ci ont été présentées le 17 janvier à la commission des finances de l’Assemblée nationale par Didier Migaud. Le rapport "met l’accent sur l’ampleur des dérapages financiers de la société", les "risques d’insoutenabilité" de sa dette, et sur "les fortes incertitudes qui pèsent sur la possibilité d’être au rendez-vous olympique de 2024", souligne le premier président de la juridiction financière.

Pour rappel, l’enquête a été effectuée à la demande de la commission et de son président de l’époque, Gilles Carrez (LR). Elle dresse un premier bilan de la mise en place de la Société du Grand Paris (créée en 2010), des conditions de pilotage du Grand Paris Express et de la soutenabilité financière de la société. Les trois principales observations concernent les coûts,  la soutenabilité financière du projet et la gouvernance de la SGP. 

Des coûts à la dérive 
Par rapport aux estimations des coûts prévisionnels effectuées en mars 2013, le dérapage global atteint aujourd’hui 13 Md€, passant de 25,5 Md€ à 38,5 Md€. Didier Migaud explique : "les coûts n’ont cessé d’augmenter sous l’effet de quatre facteurs principaux". L’approfondissement des études, "qui a révélé la sous-estimation de l’évaluation initiale. Certes dans un grand projet d’infrastructure, les premières évaluations sont toujours fondées sur des études sommaires, mais dans le cas qui nous occupe, la Cour n’a pas été en mesure de se prononcer sur la fiabilité de ces premières données, la SGP s’étant révélée incapable de fournir les bases de calculs". Par ailleurs, "les provisions prévues pour le GPE étaient largement insuffisantes par rapport à ce qui est recommandé pour les travaux de cette nature".
Deuxième facteur : "les demandes complémentaires adressées à la SGP par l’Etat et le Stif [Ile-de-France Mobilités], dont l’ajout d’un site de maintenance à Aulnay-sous-Bois", pour un montant de 592 M€, et l’achat des véhicules de maintenance à hauteur de 380 M€.
Ensuite : "la réduction des délais imposée par l’échéance olympique de 2024", alors que le calendrier prévoyait un échelonnement entre 2020 et 2030. "Le réalisme de ce nouveau calendrier", qui impose que les chantiers soient conduits "non plus de manière séquencée mais en simultané", apparaît "très discutable". Il pose notamment la question de la capacité d’absorption des marchés publics.
Cette hausse résulte enfin "des arbitrages gouvernementaux destinés à assurer le bouclage du financement du projet Eole [prolongement du RER E à l’ouest], qui ont accru les contributions à la charge de la SGP de 500 M€ début 2016".
Or, confrontée à ces dérapages, la SGP n’a pas fait preuve "d’une totale transparence sur la réalité des coûts". En mars 2017, la société prévoyait un coût de 28,9 Md€, soit un dépassement de 3,4 Md€ par rapport aux chiffres de 2013. Ecart "largement sous-estimé", puisque qu’en juillet 2017, alors que le directoire de la SGP fournissait au gouvernement une estimation des coûts finaux des deux lignes les plus avancées (15 Sud et 16), "données dont il avait connaissance depuis six mois sans les avoir communiquées au conseil de surveillance", le coût prévisionnel s’est avéré nettement plus important, à 38,5 Md€. 

La soutenabilité financière du GPE en péril
Compte tenu de ces observations, la Cour s’interroge sur la capacité de la SGP à faire face à ces charges croissantes, et remet en cause le modèle économique de la société. Un "modèle risqué", alerte Didier Migaud, car "sa soutenabilité dépend très fortement des niveaux des recettes fiscales" [taxe sur les locaux à usage de bureaux notamment], dont "les évolutions sont très difficiles à prévoir à long terme" (en premier lieu, la dynamique de la construction de bureaux en Ile-de-France et l’indice du coût de la construction). Ensuite, ce modèle est "insuffisamment sécurisé sur le plan juridique" : le décret fixant le niveau de redevance qui sera versée à la SGP par le ou les futurs exploitants des lignes du GPE, dont IdF Mobilités, n’a toujours pas été publié. Il aurait dû l’être "en 2011", rappelle le président de la Cour, mais les contestations d’IdF Mobilités par rapport à cette redevance ralentissent le processus et ajoutent un aléa sur la soutenabilité de la dette du SGP.
En outre, "le dérapage des coûts entraîne des conséquences majeures sur le niveau des frais financiers". Ils sont passés "de 32 Md€ avec une fin des remboursements en 2059" (en se basant sur les estimations au printemps 2017, pour un coût de construction de 28,9 Md€), à 134 Md€ pour une période de remboursement reportée à 2084. Avec la réévaluation des coûts à 38,5 Md€, on assiste à "un quadruplement du montant des intérêts". Et Didier Migaud de préciser que les 3,4 Md€ d’emprunts supplémentaires affectés à la SGP par l’Etat supposent des "taux d’intérêts a priori plus élevés que ceux dont l’Etat aurait bénéficié, soit 11 Md€ en plus".
Dans son rapport remis au Premier ministre, en septembre dernier, le préfet de la région Ile-de-France présente des scénarios possibles d’adaptation du calendrier de réalisation du GPE. "Ils consistent tous en un report de la réalisation de plusieurs tronçons pour alléger les dépenses de la SGP d’ici 2022". En revanche, "ils ne réduisent pas le coût total du projet". "Seule une révision de son périmètre pourrait le permettre".

> Sur cette base, la Cour formule quatre recommandations à l’adresse de l’Etat : 
- "Assigner à la SGP un coût d’objectif à fixer ligne par ligne"
- "Assurer la soutenabilité de long terme du financement de la SGP en revoyant le périmètre du projet et le phasage des dépenses"
- "Publier rapidement le décret fixant les caractéristiques de la redevance d’utilisation du réseau"
- "Mettre en place un contrôle renforcé de l’établissement par les tutelles permettant de s’assurer du pilotage rigoureux du projet".

Une gouvernance à réformer
Le gouvernance de la Société du Grand Paris présente "deux limites fortes", qui expliquent notamment "le manque de transparence", selon la Cour.
D’abord, "le contrôle exercé sur le directoire par le conseil de surveillance est insuffisant. Ses pouvoirs sont limités sur le plan juridique, il ne dispose d’aucune compétence sur les marchés ni sur certains actes essentiels de la conception du projet. Par ailleurs, le conseil n’exerce pas toujours les compétences qui lui sont conférées : en sept ans d’existence, il n’a jamais fait usage du pouvoir d’opérer des vérifications et des contrôles" ou "de se faire communiquer des documents qu’il estime nécessaire à l’accomplissement de sa mission". La Cour estime qu’il faut renforcer les pouvoirs de ce conseil et faire évoluer sa composition en y intégrant, par exemple, des personnalités qualifiées (spécialistes de la conduite de grands projets ou du financement d’infrastructures).
Ensuite, "le contrôle assuré par les autorités de tutelle s’est aussi avéré défaillant". Sur le dérapage des coûts, "le directoire n’a pas été plus transparent à leur égard qu’il ne l’a été vis-à-vis du conseil de surveillance, mais jusqu’à mi-2016, les tutelles n’auraient pas fait preuve à ce sujet d’un zèle excessif. Il faut dire qu’elles étaient mal organisées pour exercer leur rôle. Depuis sa création en 2010, la SGP a été rattachée à quatre administrations de tutelle, et ce n’est qu’en mars 2017 qu’un comité de tutelle a été institué" dont la présidence a été transférée au préfet de la région. La création de ce comité "va dans le bon sens", "mais ne peut pallier toutes les faiblesses du contrôle".
En outre, la Cour met en évidence la "relative faiblesse des ressources humaines" de la société, ou encore la dépendance risquée "à son principal prestataire en assistance de maîtrise d’ouvrage", qui assure en pratique l’essentiel des relations avec les maîtres d’œuvre. "Une situation atypique", souligne Didier Migaud.
Le rapport relève enfin de nombreux motifs de critique sur la gestion des marchés : "une définition initiale du besoin souvent imprécise, des règles de procédures parfois contournées, un usage excessif des procédures sans publicité ni mise en concurrence, un recours mal contrôlé au bon de commande, une pratique extensive des avenants, et un rôle trop réduit confié à la commission d’examen des offres".

De ces observations, résultent les deux dernières recommandations de la Cour :
- "Elargir et renforcer les compétences du conseil de surveillance de la SGP, notamment en matière d’approbation des mesures d’exécution des décisions d’opération d’investissement, concernant les études et les marchés en particulier"
- "Réévaluer le dimensionnement de la SGP, notamment au regard des effectifs de ses prestataires extérieurs, et définir une trajectoire pluriannuelle des plafonds d’emplois alloués à la SGP"

Le rapport dans son intégralité est à lire sur : www.ccomptes.fr/fr/publications/la-societe-du-grand-paris

Disponible à la vente

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