Le "zéro artificialisation nette" à la loupe de l'Institut Paris Region

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En intégrant au Plan biodiversité de 2018 l’objectif de "zéro artificialisation nette" (Zan), le gouvernement a fait appel à une notion absente à ce jour des textes. Et dont la définition précise est sujette à débat. Dans ce contexte, l’Institut Paris Region (ancien IAU) a lancé un cycle de six rencontres sur le sujet. La séance introductive, le 30 janvier, a permis de cerner les termes – et les enjeux – de cette notion nouvelle.

L’artificialisation se définit comme le solde entre les surfaces passant du statut de "naturelles, agricoles ou forestières" (Naf) à urbanisées et les surfaces ayant subi le processus inverse, nommé renaturation. Le problème, explique Julien Fosse, de France Stratégie, qui a remis en octobre dernier un document (à retrouver ici) sur le sujet au gouvernement, est que "selon les chiffrages, on compte de 16 000 à 61 000 hectares artificialisés par an". La méthode des fichiers fonciers donne un entre-deux sur lequel s’est basé l’organe gouvernemental : 23 000 hectares passeraient ainsi de surfaces Naf à surfaces urbanisées chaque année en France.

"Cette définition par le changement d’affectation n’est elle-même pas totalement satisfaisante", prévient Thomas Cormier, urbaniste à l’Institut Paris Region. "Un parc urbain, par exemple, sera considéré comme un espace artificialisé". A l’inverse, un champ cultivé en monoculture intensive, qui ne présente aucun intérêt en termes de biodiversité, est dans la catégorie espace naturel. Comment, dès lors, qualifier plus finement l’intérêt écologique des sols ? Le groupe de travail gouvernemental sur l’artificialisation, qui devait rendre ses conclusions fin 2019, travaille toujours dessus, assure un conseiller ministériel contacté par Innovapresse. Il devrait rendre ses conclusions "au second trimestre". 

La France, mauvaise élève

Ce qui est sûr, pour Julien Fosse, c’est qu’avec 47 km² artificialisés pour 100 000 habitants, la France est très au-dessus de la moyenne européenne (l’Allemagne et le Royaume-Uni se situent autour de 30 km²). "Et cela augmente beaucoup plus vite que la démographie", précise-t-il. Les causes principales de la bétonisation ? L’habitat pour 42 %, suivi des transports (28 %). Pour France Stratégie, seule une forte augmentation des densités construites et un fort taux de renouvellement urbain peuvent faire baisser les surfaces consommées chaque année.

Comment mettre en œuvre concrètement, alors, ce principe désormais inscrit dans les orientations stratégiques de l’Etat ? "Nous n’avons pas besoin d’une révolution juridique, les outils existent", explique Maylis Desrousseaux, docteure en droit de l’environnement et chercheuse à l’Inra/Iffstar. "Le problème est plutôt que le droit est parfois incompatible avec cet objectif". Ainsi, par exemple, les possibilités d’action en justice contre les projets d’aménagement sont constamment rognées, au nom de la lutte contre les recours abusifs. "C’est un pouvoir retiré aux citoyens dans la dénonciation des projets néfastes", dénonce la chercheuse. Autre exemple, abonde Amélie Blandin, avocate spécialisée : la loi Elan, qui facilite l’urbanisation du littoral. 

Pour une police des sols

Cette même loi, votée en 2018, appelle pourtant les collectivités à "lutter contre l’étalement urbain" et inscrit au code de l’urbanisme le principe suivant : "le territoire est le patrimoine commun de la Nation". Une avancée, selon les intervenant.e.s. "Sauf que le sol, contrairement à l’eau ou l’air, n’est pas un 'commun’ selon notre droit", rappelle Maylis Desrousseaux : "c’est un bien immeuble appropriable". "C’est entré dans les mœurs depuis 20 ans, par exemple, de gouverner l’eau avec une vision commune : Sage, Sdage, comités de bassin, etc. Nous n’y sommes pas du tout pour les sols. Il faudrait une police des sols, comme il y a 70 polices administratives en droit de l’environnement". 

Faute d’inscription dans les textes réglementaires de la notion d’artificialisation, c’est la "lutte contre l’étalement" qui guide les schémas d’aménagement tels que Sraddet, Scot et PLU. "Les premiers Sraddet [schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires] sortent en ce moment", note Amélie Blandin. "Il sera intéressant de voir si les préfets refusent les moins ambitieux sur cette question. Celui de la région Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, sera surement retoqué, car il ne donne pas d’objectifs chiffrés de baisse des consommations foncières". A l’inverse, le Sraddet Paca a été approuvé : il impose une réduction de moitié du rythme de la consommation d’espaces naturels.

L’Ile-de-France plutôt vertueuse

"L’Ile-de-France connaît déjà une baisse du rythme des consommations d’espaces naturels depuis 2000", explique Thomas Cormier, de l’Institut Paris Region. "Entre 2012 et 2017, 590 hectares nets par an ont été consommés : 840 ha d’artificialisation brute pour 250 ha renaturés. C’est plutôt vertueux". Philippe Louchard, démographe à l’Institut, insiste : "c’est la plus faible artificialisation de France au regard de l’activité humaine accueillie". Thomas Cormier rappelle néanmoins que le Sdrif (schéma directeur de la région Ile-de-France) de 2013 "autorise beaucoup : 1 300 ha/an à l’horizon 2030". Aucun doute que le prochain schéma devra faire mieux.

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